S2 / Chapitre 16 - Pas les saisons - L'Eredità dei Antenatio

7 janvier 2017

S2 / Chapitre 16 - Pas les saisons

Aurelio,

Je pars aujourd'hui vers une autre vie, ou autre chose. Toutes ces années, j'ai cru qu'avec toi, je parviendrais à me surpasser, mais désormais, je me rends compte de mon erreur. Je te laisse Amadeo, en sachant qu'il sera entre de meilleures mains, plus courageuses que les miennes. Je te laisse, toi, en prenant le risque d'être impardonnable, bien que j'accepte de l'être. Ma lâcheté fait que je te quitte maintenant ; mon orgueil, que je ne t'aie pas quitté avant.

Tu es un bon père et un grand homme.

Adieu.

Cette lettre, Aurelio l'avait lue et relue. Cette lettre, c'était le signe de sa défaite. Cette lettre, c’était la perte de la deuxième et dernière femme de sa vie. Elle signifiait l'échec de ses efforts à construire une famille heureuse.

Amadeo n'était pas conscient que sa mère était partie. Pas encore. Bientôt viendrait le jour où il la pleurerait, mais pour l'instant, il ne souciait de rien.

Depuis la mort de Simona, Adam semblait s'être rapproché d'Aurelio. En fait, beaucoup de choses s'étaient passés depuis ce fameux jour. En quittant Twinbrook, la vie des deux garçons avait été chamboulée.

Aurelio – J'ai… J'ai l'impression de tout avoir raté. De m'être précipité dans un cul-de-sac. Je n'ai pas su rendre Mika heureuse, je ne pourrai pas satisfaire Amadeo… J'ai laissé ma famille de côté… Je… Toi. Tu sais bien… Je suis désolé pour ce que je t'ai fait. Je sais que tu m'en veux. J'ai agi n’importe comment...

Adam – Aurelio, tu as besoin de temps pour… comment dire… faire le tri dans tes pensées. Tout ce qui s'est passé, ce n'est pas de ta faute. Du moins en ce qui concerne ton fils et Mika. C'est elle qui est partie, qui t'a laissé seul. Moi, j'ai passé l'éponge sur ton comportement avec moi depuis quelques temps déjà. Je ne reviendrai pas là-dessus...

Voilà déjà un mois qu'Aurelio et Adam avaient emménagé dans cet appartement. Le temps passait vite, et petit à petit, Aurelio parvenait à exprimer son chagrin et à regarder derrière lui. Durant plusieurs mois, la famille avait logé dans un hôtel. Après avoir choisi de quitter Twinbrook, l'aîné avait insisté pour venir à Bridgeport. Il avait compris qu'il valait mieux enquêter sur la menace qui pesait sur la famille plutôt que de la fuir. Si les hommes qui étaient à leur recherche travaillaient pour les Rossi, cela signifiait qu'ils les avaient suivi jusqu'aux États-Unis et qu'ils les cherchaient pour une raison précise. Mais que faisaient-ils à Bridgeport ? Toute cette histoire semblait complètement tirée par les cheveux...

En dépit de tout les malheurs qui avaient causé le déménagement de la famille Antenatio, il y avait eu certains avantages à vivre à Bridgeport. Lorsqu'Aurelio avait demandé sa mutation au journal The Bridge, sa directrice de publication Renée Littler lui avait proposé le poste vacant de rédacteur en chef. Aurelio semblait être un pro du timing. Il avait été ravi de l’offre et avait pris son rôle à bras-le-corps. Renée venait régulièrement à l'appartement pour discuter de l'affaire d'évasion fiscale sur laquelle Aurelio travaillait toujours. Elle était devenue, en peu de temps, une amie sur qui compter.

Adam avait retrouvé un travail dans la police, moins intéressant que le poste qu'il avait autrefois. Dessiner des portraits-robots n'était pas ce qu'il préférait, et lorsque le parc naturel municipal avait proposé de l'engager dans son laboratoire d'analyses pour ses compétences scientifiques, il avait tout de suite accepté.Le travail était pour lui une manière de passer le temps et d'oublier sa tristesse, immense après la perte de sa mère tant chérie.

Ce nouveau départ, s'il n'était pas troublé, devait commencer par une découverte de la ville. Aurelio partait régulièrement à la bibliothèque, entre autres, pour se documenter sur l'économie et les lois en matière de fiscalité. La connaissance et la culture étaient des éléments clés pour être un bon journaliste.

Adam visitait plus volontiers la salle de sport, pour reprendre un bon rythme de vie. Drôle d'idée d'installer une salle de sport au sommet d'un gratte-ciel…

Les horaires de travail quasiment identiques d'Aurelio et d'Adam imposaient une dépense hebdomadaire dans un service de garde d'enfants. Amadeo était bien trop jeune pour rester seul à la maison et aucun des deux frères ne voulait ou ne pouvait quitter son emploi.

Néanmoins, le peu de temps dont il disposait le soir, Aurelio enseignait à Amadeo le langage. Il était assez déroutant pour lui de lui apprendre l'anglais alors qu’il était né en apprenant l'italien. Ces moments entre père et fils le mettaient dans un sentiment de contrariété, voire de colère quant à Mika. Il se disait parfois que si elle avait choisi de lui parler de son mal-être, sa vie à lui ne serait pas aussi compliquée à l'heure qu'il est…

Car il avait beau ne pas avoir à être présent au bureau le matin, il devait tout de même travailler dès le réveil ! On n'imaginait pas le nombre de tâches ménagères à accomplir dans un appartement. C'était assez déprimant de se retrouver à tout nettoyer, seul. Surtout quand il fallait faire le lit, avec le tableau de Mika accroché au mur, la seule chose qu'elle ait laissé derrière elle…

Et puis, malgré cette grosse affaire dont il s'occupait, il avait aussi en charge la rédaction des articles phare du journal, la gestion du site web… Tout le travail que lui seul pouvait réaliser, sans assistant. Il fallait croire que le département des ressources humaines dépensait plus d'argent dans les machines à café que dans le personnel.

Heureusement, plus le temps passait, plus les deux frères semblaient se réconcilier. Amadeo animait la curiosité d'Adam, qui prenait plaisir à s'occuper de lui et à l’aider dans les grands apprentissages de la vie, notamment la marche. Cela faisait du bien au jeune garçon de sortir un peu, de prendre l'air, aussi pollué était-il. Adam avait l'impression d'avoir enfin un rôle dans la famille.

Ces derniers temps, Aurelio se remettait à la musique. Elle permettait d'oublier, d'exprimer ce qu'on ne pouvait dire ou écrire. C'était aussi un bon moyen de rencontrer du monde, car Bridgeport était aussi connue pour sa grande communauté artistique, notamment cinématographique et musicale. En fait, Aurelio avait toujours voulu monter un groupe. Il suffisait de trouver les bonnes personnes…

Aurelio – Tu sais, malgré tout ce qui s'est passé, il y a quand même du bon à notre nouvelle vie. Et je crois que ce qu'il y a de mieux, c'est qu'on se reparle. Que tu t'ouvres à nouveau aux autres.

Adam – Je suis d'accord… Mais tu sais, je ne te l'ai jamais dit… A Twinbrook, j'étais avec quelqu'un.

Aurelio – Avec quelqu’un… Tu veux dire… En couple ?

Adam – Oui. Emily Sargeant. On était collègues… Mais elle était mariée. Et… maintenant je m'en rends compte. Je n'aurais pas dû juger Mika aussi vite. Je ne suis pas très bien placé.

Aurelio – Tu sais, j'ai encore du mal à voir si Mika m'a quitté parce qu'elle n'avait vraiment pas le courage de s'installer dans une vie à long terme. Je crois que c'est ça, mais… Enfin bref. Au fait, je te préviens, j'ai rencontré quelques personnes avec qui je vais sûrement monter un groupe. Du coup, on répétera sûrement dans l’appartement.

Adam – Ça ne risque pas de faire beaucoup avec ton travail, ton fils et tes bouquins ? Tiens d'ailleurs, j'y pense, j'ai aussi une bonne nouvelle à t'annoncer…

Adam s'était fait remarqué parmi les scientifiques et médecins de la ville. Même s’il n’était officiellement ni l’un ni l’autre, il travaillait dans la médecine légale depuis quelques années désormais et avait un brin d'expérience grâce à l'université et à ses recherches au parc naturel. Il semblait donc tout à fait normal que l'on aie fait appel à lui lorsqu'un poste de technicien-chercheur au laboratoire d'études virologiques et bactériologiques s'était libéré. Bien sûr, Adam avait accepté, et il travaillait désormais à l'hôpital de Bridgeport. Ce changement de décor et de fonctionnement interne le chamboulait un peu, mais il ferait ses premiers pas avec assurance, une fois qu'il aurait terminé sa formation.

Et qui disait formation en médecine, disait un tas d'ouvrages à consulter...

Aurelio – Bonne lecture !

Adam – Ouais, c'est ça...

Aurelio commençait lui aussi à prendre de l'aisance au Bridge. Son travail satisfaisait la direction, ses collègues avaient une bonne opinion de lui et, pour la plupart, étaient de ses amis, désormais. Lui ne mettait plus trop les pieds dans l'investigation sur le groupe pharmaceutique. Il était plutôt chargé de la superviser, comme un procureur supervisait une enquête judiciaire. Cela lui laissait le temps de s'occuper de tout le reste, même s’il participait souvent aux rencontres, visites et réunions à ce propos.

La vie reprenait finalement son cours. Adam n'avait plus le temps de s'ennuyer, avec son nouveau travail qui nécessitait une entière attention ; Amadeo grandissait bien, entouré de son père et de son oncle ; Aurelio liait des amitiés ici et là, devenait proche de Renée Littler, une sorte de Nicoletta Lombardi pour lui, et avait fini par accepter l'invitation de Suzanne, une musicienne rencontrée dans un parc, à une répétition avec un de ses amis, un certain Michael Sleep.

Mais cette nouvelle ère, mouvementée, ne pouvait être pleinement vécue que si l'on tournait la page. Aurelio avait toujours mal. Pour y voir plus clair, il avait besoin d'écrire. Mika était-elle menteuse ou naïve ? Lâche ou courageuse ? Que penser de tout cela… Et puis il eut une idée. La bonne idée, celle qu'il fallait avoir. Une lettre.