S1 / Chapitre 5 - Un homme politique

La maison Antenatio-Valenci était calme, ces temps-ci. Il y avait longtemps que la famille n'avait pas reçu d'invités ou organisé un repas entre amis. Le petit Aurelio ne poussait même pas de cris. Tout était paisible.

Aurelio avait grandi. En peu de temps, il était passé du stade de petit bébé braillard à celui de jeune enfant joueur et proche de ses parents. Il était aussi devenu gâté. Oh, juste ce qu'il fallait, de beaux vêtements, quelques jouets et une sortie régulière en poussette, pour assurer que le jeune garçon commencerait bien sa vie. Mais malgré tout cela, il n'avait pas l'air de comprendre que les cubes ne se mangeaient pas...

Simona – Ne t'inquiète pas. Je suis sûr que tout va bien se passer. Je serai là. Et Aurelio aussi. Il n'a pas la moindre chance contre toi. Tu as fait ton travail, et je t'assure qu'à chaque fois que j'entends parler de toi, c'est en bien.

Vincenzo – Parce que tu ne fréquentes que les gens qui me sont favorables. Mais il y a d'autres personnes parmi les habitants de Monte Vista qui aimeraient bien me voir croupir dans une cellule.

Simona – De toute façon, ce n'est qu'un procès pour diffamation. Tu ne risques pas non plus la prison à perpétuité.

Mais Vincenzo avait entendu que Simona s'était trahie, la petite note d'inquiétude familière dans sa voix.

Vincenzo partait désormais au travail avec la boule au ventre. Le procès face à Costanzo Rossi se rapprochait inexorablement, et la peur de devoir subir quelque chose d'autre à la mairie le tenait en haleine. Pour autant, il ne s'affaissait pas et continuait d'affirmer ce qu'il avait toujours dit : l'OAC devait et serait perquisitionnée, et les pratiques illégales qui l'entouraient bientôt arrêtées. Pour le moment, il ne pouvait pas agir et devait attendre son procès. S'il le gagnait, il pourrait poursuivre son action et prouver qu'il était fiable. S'il perdait…

Petit repas en extérieur… Elle est belle, la vie ! Profite-en, l'innocence, ça ne dure pas bien longtemps…

Vincenzo avait eu raison de s'inquiéter. Enfin, ce n'était pas grand-chose, mais… Être relogé dans un placard à balais et voir son bureau réattribué… Il n'avait même pas vu Nicoletta de la journée. D'ailleurs, il ne l'avait pas vu depuis un bon moment au conseil municipal. Il faudrait qu'il lui envoie un message, histoire de vérifier que tout allait bien. Mais pas ce soir. Il n'avait pas le temps. Préparer sa défense et imaginer d'improbables théories sur ce qui pouvait bien se passer à l'issue de ce procès ne l'enchantait guère, mais il devait le faire. Il fallait être préparé et armé jusqu'aux dents pour le jour-J, à savoir le lendemain !

Heureusement, il pouvait compter sur Aurelio pour se détendre et retrouver un brin de joie.

Vincenzo – Là, joue un Fa !

Aurelio – Rrrrrrrrrréééééééé… Smoulia !

Vincenzo – Oui, si tu le dis !

Et puis, il avait toujours les bons plats de Simona…

...Et tout ce qui va avec. Vincenzo ne s'était jamais rendu compte, jusqu'à présent, à quel point sa présence lui était nécessaire. Elle le rassurait, l'apaisait. Mais le plus beau n'était pas qu'elle le fasse rire ou qu'elle l'embrasse : c'était qu'ils riaient et s'embrassaient, tous les deux, ensemble, comme un seul.

Il était étonnant de voir comment Simona et Vincenzo se connaissaient mutuellement. Elle savait que lui avait besoin d'être seul le matin – un peu comme tout le monde – et en particulier les jours difficiles à affronter. Elle avait profité des quelques rayons de soleil et de la chaleur qui revenait sur Monte Vista pour emmener en balade le jeune Aurelio, qui semblait nourrir un intérêt singulier pour son environnement.

9h51. Les portes du tribunal étaient ouvertes, la séance allait bientôt commencer. De loin, Vincenzo avait aperçu Costanzo Rossi, qui ne lui avait accordé aucun regard. Il s'en fichait. Il savait que, dans quelques instants, Simona et Aurelio seraient là, pour l'encourager, lui tenir la main. De toute manière, tout le monde savait, désormais, ou pouvait avoir connaissance des agissements du maire. Rassemblant tout son courage, Vincenzo franchit alors le seuil de la grille d'entrée, au-dessus de laquelle les mots « La couronne est puissance » étaient inscrits. Jamais ils n'avaient semblé si vrais, si forts, si crus à Vincenzo.

Il avait perdu. Perdu comme un menteur. Comme un tricheur contre qui son jeu se retournait. Costanzo Rossi avait perdu le procès. « Après deux heures de délibération, le tribunal civil de Monte Vista se prononce défavorable à une peine à l'encontre de Vincenzo Antenatio ». Ces mots résonnaient bien mieux que l'inscription de l'entrée de la mairie  dans la tête de Vincenzo.

Simona – Je suis fière de toi, Vincenzo. Tellement.

Vincenzo – Et moi, de nous.

C'est un peu classique mais si c'est sincère…

Cette grande victoire pour Vincenzo lui donna toutes les forces nécessaires afin d'enseigner le langage à Aurelio, pendant que Simona était partie travailler. Visiblement, le petit garçon n'était pas un grand bavard, car il se contentait de regarder son père en l'écoutant parler…

Ce matin-là, lorsqu'il put enfin retourner au travail tranquillement, avec son bureau à nouveau accessible, il ressentit une délivrance. Et même plus que cela, lorsque Nicoletta lui tendit le journal qu'elle tenait dans les mains, à l'entrée de son local, comme elle l'avait fait pour le suicide (ou meurtre ?) de Jalissa Rivers et la fermeture des Serres de l'Allée Toscane. Cette fois-ci, le titre était : « Victoire de la démocratie : l'élu Vincenzo Antenatio innocenté, le maire Costanzo Rossi déstabilisé ». Vincenzo avait un large sourire. Il se jeta alors avec joie sur tout le travail qui l'attendait. Le conseil municipal attendait des solutions quant aux problèmes soulevés par les quatre rapports de la commission d'étude, et c'était à Vincenzo – en partie – de les apporter. Mais ses pensées se tournèrent vers autre chose lorsque, pour aller prendre un café, il passa devant le bureau du maire. Il entendit la voix de Costanzo Rossi, visiblement énervé.

Costanzo – ...Les hebdomadaires régionaux, les quotidiens locaux. Je me suis déjà occupé du journal de la municipalité. Ecoute, tu ne peux pas me lâcher là-dessus. Ma carrière et mes intérêts sont en jeu ! ...Oui, bien sûr que je le pourrais. Mais on m'accuserait directement. De quoi j'aurais l'air ? Tu veux me voir finir mes jours en prison ? Sans compter qu'à ce moment-là, ils découvriront ce qu'est vraiment l'AOC… Et ils ne comprendront pas. Tu dois m'aider ! Je t'en prie, Vincenzo ! Tu as ce devoir envers moi… Oui, je sais bien. Il va falloir que je sois plus prudent... Tu me l'as déjà dit. Oui, très bien. OK… Bon. A plus tard.

Entre deux paragraphes de ses propositions de projets municipaux ce soir-là, Vincenzo consulta les journaux locaux sur Internet. Que voulait exactement Costanzo Rossi ? Il demandait à un certain Vincenzo de l'aider à propos des journaux. Notre Vincenzo à nous avait bien une petite idée, mais il ne l'avait pas partagé avec Nicoletta pour le moment. Non, il préférerait l'évoquer face à quelqu'un d'autre, de plus expérimenté...

Si Aurelio mettait du temps à sortir ses premiers mots, il ne s'était pas fait prié pour faire ses premiers pas. Simona avait été ravie de lui enseigner la marche, et voyait peut-être en lui un futur sportif ! Sûrement un gêne de caractère qui s'était transmis de père en fils.

Outre son métier qui lui prenait un peu moins de temps qu'à une certaine époque, Vincenzo travaillait encore et encore à apprendre à Aurelio la parole. Les multiples efforts qu'il avait dû faire se révélèrent toutefois efficaces puisqu'Aurelio commençait enfin à prononcer les mots et à connaître leur signification. Il restait peu de chemin à parcourir, désormais.

Pour Vincenzo également, il restait peu de chemin, avant que les sondages ne soient entièrement défavorables à Costanzo Rossi. Nicoletta l'avait appelé en vitesse pour lui demander s'il pouvait passer la voir, elle avait besoin de lui parler. Elle disait que c'était en rapport avec le maire.

Nicoletta – Je suis désolée de te recevoir en cette tenue, Vincenzo, mais même la nuit, il fait chaud, l'été. Et puis, j'ai quelques soucis de santé, bouffées de chaleur, fièvres récurrentes… Mais bon, ça va.

Vincenzo – Pas de souci. Que voulais-tu me dire ?

Nicoletta – Eh bien, comme tu as pu t'en douter, de par mon absence prolongée à la mairie, j'ai été destituée de mon mandat d'élue.

Vincenzo – ...Je m'en doutais un peu, par rapport à ce que tu avais dit au maire, la dernière fois que tu l'as croisé.

Nicoletta – Néanmoins, je suis toujours abonnée au journal du conseil, et j'ai trouvé louche qu'il ne relate rien de ton rapport. Ni des récentes manifestations qui ont eu lieu.

Vincenzo – Ah bon ? Ces temps-ci, je suis resté chez moi pour m'occuper d'Aurelio, alors, je ne suis pas très bien informé.

Nicoletta – En fait, les manifestants réclament la démission de Rossi. Ils rêvent, mais tu peux toujours compter sur le conseil municipal pour faire pression sur le conseil régional. C'est de cela que je voulais te parler. S'il choisit cette voie-là, les élus vont devoir choisir un autre maire. Le maire adjoint actuel a eu quelques ennuis avec la police depuis quelques années, alors le poste est toujours vacant… Donc ce sera le conseil qui élira le maire. Et je pense… que tu vas être choisi.

Vincenzo – Tu… Tu plaisantes ?

Nicoletta avait peut-être raison. Du moins, sur l'élimination de Costanzo Rossi. A l'hôtel de ville, tout le monde se précipitait à droite, à gauche, pour remplir tel ou tel dossier ou formulaire. Les récents événements alimentaient les ragots et discussions. La quantité de travail de Vincenzo avait elle aussi augmenté. Le conseil municipal discutait de ses idées, et de celles des autres inspecteurs. Les élus élaboraient des stratégies d'aide aux agriculteurs et commerces, mais l'attention était surtout portée sur Vincenzo, qui s'apprêtait à finaliser la démarche de perquisition de l'OAC. Deux ou trois rendez-vous avec la gendarmerie locale étaient prévus, mais il fallait encore trouver les locaux de l'assurance. Et pour cela, trouver un document qui puisse la délivrer. Vincenzo avait bien une petite idée…

Vincenzo – Patrizio, je suis venu vous voir pour vous parler de Costanzo Rossi.

Patrizio – Ah, votre sujet de conversation préféré ! J'ai entendu parler de votre rapport et du grabuge qu'il a causé… Continuez, mon garçon.

Vincenzo – Je soupçonne Rossi de vouloir faire taire les journaux locaux à propos du rapport que j'ai publié. Il ne se doute pas que je l'ai encore en ma possession, puisque suite à... un changement de bureau, il l'a supprimé de mes fichiers. Pas très malin. Mais il sait que les habitants de Monte Vista veulent le voir être mis à la porte, donc il lui faut contrôler les médias… Et puis, il me faut aussi certains documents qui m'aideraient à savoir la vérité à son propos, qu'il doit être le seul à posséder j'imagine.

Patrizio – Eh bien, quel détective ! Vous auriez fait un très bon flic. Mais venez-en au fait.

Vincenzo – Vous connaissez beaucoup de monde, ici, et… je me demandais… Il faut que je m'introduise dans le bureau de Costanzo Rossi. Je ne peux pas le faire en plein jour, il y est toujours terré. Connaissez-vous quelqu'un qui, moyennant finance bien entendu, accepterait de m'accompagner dans… une visite nocturne de l'hôtel de ville ?

Patrizio – Oh oh, jeune homme, vous êtes moins « politiquement correct » que la plupart de vos collègues ! Mais… attendez… Oh oui, je vois. Il se pourrait que je connaisse une telle personne. Qui sera ravie de vous aider, même gratuitement j'imagine, si vous lui dites que vous venez de ma part.

Malgré la vie politique agitée de Monte Vista ces derniers temps, Vincenzo avait décidé de prendre un peu de repos en proposant à quelques amis (Camillo Mancini, Nicoletta Lombardi, David Haynes et Noël Perry) de venir passer la journée à la plage. Il y avait bien longtemps qu'il n'y avait pas mis les pieds. La dernière fois, cela remontait à Mathusalem ! Il ne savait même plus s'il avait déjà rencontré Simona. Que de souvenirs…

Vincenzo s'était éclipsé avant la fin de la fête. Il avait une petite chose à régler dans le coin, une chose qui devait être réglée très rapidement.

L'homme en bleu – Bon, très bien. Si vous me dites que vous connaissez Patrizio Monty et que vous avez les preuves que vous travaillez contre Costanzo Rossi, je n'ai aucune raison de ne pas vous faire confiance. Appelez-moi lorsque vous serez prêt. Il nous faudra être rapides, précis, et discrets, surtout. Les Rossi habitent non-loin de l'hôtel de ville, ils ne devront pas être alertés.

En rentrant chez lui, Vincenzo avait un sentiment de puissance. Il allait enfin pouvoir se débarrasser de Costanzo Rossi. Son plan était risqué mais il fallait que les masques tombent, et il devait en finir avec cette histoire d'organisme d'assurance du commerce. En finir une bonne fois pour toute avec ce qui avait pourtant bâti sa carrière. Dorénavant, tout était centré sur lui, il n'avait pas le droit à l'échec. Pour être choisi, il fallait le mériter.

A suivre !