S1 / Chapitre 8 - Abattre... ses cartes

L'hiver était rude, cette année. Monte Vista était enveloppée sous un manteau de neige qui ne cessait de s'épaissir, et les toits des maisons étaient couverts de givre. L'automne avait quitté la ville, laissant derrière lui les feuilles mortes et, accessoirement, Costanzo Rossi. Une page venait de se tourner dans l'histoire de la Toscane et de Vincenzo Antenatio.

Comme chaque jour, Vincenzo allait au travail. La fonction de maire lui allait parfaitement. Beaucoup de choses à faire, de mains à serrer, de paroles à prononcer, de moments pour agir. Depuis sa nomination, il n'arrêtait pas de courir à droite, à gauche, pour rencontrer tel ou tel directeur d'établissement. Il y avait énormément d'affaires à régler pour rétablir une situation propice au développement, mais il était sur le bon chemin. Et l'avantage d'avoir un travail qui prenait du temps et de l'énergie, c'était d'avoir une bonne paie qui pouvait servir, entre-autres, à acheter une jolie berline. La classe !

Vincenzo – Bien, Orlando, quels sont vos rendez-vous aujourd'hui ?

Orlando – J'en ai six, monsieur le maire. Deux directeurs de centres industrialo-portuaires, le directeur du Musée Regalia, et trois autres rendez-vous que nous avons en commun.

Vincenzo – Je sais. Nicoletta Lombardi, directrice du multiplex, le directeur du cabinet d'architecture et d'urbanisme, ainsi que le chef de la rédaction du journal régional Vangelico. Et pour bien nous préparer à tous ces rendez-vous, en connaissant le terrain sur lequel nous nous avancerons… Allons prendre un café, voulez-vous ?

A la maison, Simona continuait d'entretenir le jardin, bien que ce soit à l'intérieur. De toute manière, le travail d'extérieur était fatiguant, d'autant plus en hiver : Simona avait vieilli. Pas à l'âge de la retraite – qu'elle repoussait plus que tout, maintenant qu'elle avait un travail plaisant pour lequel elle s'entraînait – mais il arrivait un jour où l'on ne pouvait plus le baisser sans avoir mal au dos. Ses cheveux grisaient, comme ceux de son mari, et son visage était parcouru de fines rides. Aussi, pour se donner un petit coup de neuf, elle avait changé son style vestimentaire détendu pour quelque chose de plus pratique, histoire d'aller mieux avec son physique. Histoire d'être toujours aussi belle pour son compagnon.

Bien évidemment, si le temps passait pour les adultes, le temps passait pour les enfants aussi, même si les uns et les autres n'appréciaient pas ce phénomène de la même manière… Eh oui, Aurelio était déjà devenu un séduisant jeune homme ! Entré au lycée depuis deux ou trois mois à peine, il s'était découvert, lors d'un atelier, une seconde passion, pour la musique cette fois-ci ! Les douces mélodies du piano, les rythmes entraînants de la batterie, l'énergie dégagée par la guitare… Quoi de plus beau, et de mieux pour s'ouvrir l'esprit et s'épanouir ? Surtout… sous la neige ?

Cela ne l'empêchait pas pour autant de passer son temps à écrire, sa première passion. En dehors de ses quelques histoires de science-fiction qu'il comptait peut-être publier, il aimait aussi écrire des articles sur certains événements politiques ou culturels. Le prochain film au cinéma est-il la crème de la réussite ou le pire blockbuster jamais vu ? Le concert des Bizzar' Brothers valait-il la prestation de l'orchestre symphonique ? Vous pouviez compter sur le reporter en herbe Aurelio Antenatio pour tout vous dire et répondre à vos questions ! Peut-être qu'une carrière dans le journalisme lui plairait...

Le jeune Adam aussi avait bien grandi. Il tenait désormais sur ses deux jambes sans souci, parlait correctement et était la deuxième fierté de ses parents ! Lui était encore à l'école primaire, mais ne semblait pas suivre les traces d'Aurelio. Plutôt réservé, parlant peu, il s'intéressait à des choses de son âge et se voyait plutôt devenir policier. La chasse aux brigands avec son fidèle dada à bascule était devenue une de ses spécialités !

Pourtant, Adam ne trouvait pas tellement d'amis à l'école primaire, mais ce n'était pas pour les mêmes raisons que son frère : lui était plutôt d'un naturel timide, solitaire, ce qui le faisait rester dans son coin à lire ou à jouer seul dans la cour de récréation. Il n'aimait pas vraiment les jeux des garçons, ni ceux des filles. En revanche, pour Aurelio, c'était le succès. Ses camarades avaient grandi, et mûri. Lui était plus ouvert aux choses de son âge, donc avait des sujets de conversation communs aux autres garçons. Quant aux filles… Aurelio ne ressentait pas vraiment le besoin d'être amoureux pour le moment, mais évidemment, on ne choisissait pas. Peut-être plus tard ?

Après les cours, Aurelio et Adam allaient souvent au manoir abandonné. Bien qu'entretenue, cette grande bâtisse n'avait abrité aucun foyer depuis des dizaines d'années. Selon la légende urbaine, elle était hantée, mais ce n'était qu'un terrain de jeu pour les deux frères qui aimaient passer leur temps à patiner sur la mare gelée. Ces deux-là semblaient tisser d'importants liens au fil du temps, et Aurelio espérait, malgré son caractère un peu protecteur par moment, que cette relation ne serait pas gâchée par de la jalousie fraternelle.

Les efforts de Vincenzo pour stabiliser la situation économique de Monte Vista commençaient à porter leurs fruits et les habitants voulaient désormais en savoir plus sur le véritable programme de leur nouveau maire. Il fut donc invité à une édition du journal télévisé régional pour répondre aux questions des citoyens toscans.

Vincenzo – Les meilleurs solutions pour faire de Monte Vista une ville dynamique ? Sans aucun doute, le financement. Il y a un manque d'argent considérable, par rapport à l'inflation des prix, et en Italie de manière générale. Nous allons bientôt investir l'argent que nous gagnons quotidiennement, et qui se traduit en sommes colossales, grâce aux interventions policières qui parviennent à démanteler les réseaux de trafics en tout genre. Nous travaillons actuellement à mettre sur pied un vaste programme de soutien des agriculteurs, et des partenariats qui permettent aux restaurants gastronomiques – qui génèrent beaucoup de tourisme – de se fournir à moindre frais chez les cultivateurs. D'autre part, nous proposons désormais une subvention importante pour toute association culturelle qui organise des concerts, expositions, projections, festivals ou autres événements. Cela permettre de donner à Monte Vista une vie plus étendue, et d'ouvrir les horizons des habitants. Pour conclure cette partie du programme, j'annonce que les anciens bureaux de l'Organisme d'Assurance du Commerce, qui étaient utilisés comme entrepôt et planque par les gangs locaux, seront rénovés pour servir de centre socio-culturel. Il me reste quelques rendez-vous à prendre, et je pourrai peut-être vous confirmer l'installation d'une antenne universitaire littéraire. Cela permettra à la ville de retrouver sa vie d'antan, et j'espère que tous les efforts que nous fournissons ne seront pas vains. Merci beaucoup.

Aurelio, qui s'intéressait déjà au sport étant enfant, s'y était mis cette fois-ci pour de bon. Il profitait des conseils que pouvait lui donner son père pour réaliser des entraînements efficaces. Un homme aux multiples talents, Aurelio !

Vincenzo – Allez, Aurelio, tire ! Écarte un peu plus les bras, ouvre. Voilà !

Grâce à ses horaires avantageux, Simona pouvait passer du temps avec ses enfants, du moins plus que Vincenzo. Et elle crut retomber en enfance lorsqu'elle joua dans la neige avec Adam. Comme il était merveilleux d'avoir des enfants !

En grandissant, Aurelio avait conservé son caractère indépendant. Il avait finalement pris goût à un peu de solitude de temps en temps, et aimait se détacher de ses parents. Il appréciait ces petites balades ou joggings, que ce soit sous un beau soleil d'été ou sous la neige rafraîchissante de l'hiver.

Malheureusement, alors que Vincenzo devenait un maire apprécié et compétent, une terrible nouvelle était venue par téléphone, un matin. Patrizio Monty était décédé. Cette mort soudaine avait été deux fois pire à avaler que celle de Luis Toledo. Patrizio avait formé Vincenzo, lui avait fait part de ses connaissances, lui avait souhaité des fois et des fois bonne chance, l'avait mis en contact avec Dario DeLuca. Il perdait plus qu'un ami, en ce jour. Il perdait un mentor. Un mentor dont il n'aurait pas le droit d'assister aux funérailles. La famille Monty, bien que reconnaissante de l'amitié de Vincenzo pour leur patriarche, lui avait fait part de son désir d'intimité pour les obsèques. Ce que Vincenzo comprenait, mais n'acceptait pas. Est-ce-que Patrizio aurait souhaité le voir à son enterrement ?

Pour se consoler, il partit voir Nicoletta, son amie de toujours, celle qui avait été là pour lui depuis son arrivée à Monte Vista. Il en profita pour aller regarder un film avec Adam, dont il se sentait coupable de ne pas bien s'occuper. S'il passait plus de temps avec Aurelio, il y aurait des problèmes… Et Vincenzo ne voulait plus de problèmes. Vivre une vie paisible, comme celle qu'il avait connu ces derniers temps. C'était ce qu'il lui fallait.

Le travail ne lui laissait pas de repos et c'était tant mieux, car cela lui permettait d'oublier un peu sa tristesse. Il avait encore des courriers à envoyer, des demandes de rendez-vous à faire, des autorisations à compléter et des programmes à écrire. Mais cette fois-ci, Vincenzo était sur un gros contrat. Lorsqu'il serait certain d'avoir récolté assez d'argent, il pourrait signer l'autorisation de construction d'une demi-douzaine de terrains, pour répondre à la demande d'emménagement, aussi faible soit-elle. Il était aussi sur le point de consulter à nouveau le directeur du cabinet d'architecture pour la construction de la nouvelle piscine. Avec ça, il était certain de se mettre la moitié des habitants de la ville dans la poche !

Le jour qu'Aurelio attendait avec impatience, mais aussi avec anxiété, était enfin arrivé. La limousine, comme convenu, était venue le chercher à 17h, pour l'emmener au lycée, où se déroulait le Bal de Noël. Bien qu'il n'ait aucune cavalière, Aurelio avait un petit espoir d'en trouver une durant la soirée. Il était plutôt beau, n'était pas trop bête et connaissait les pas de base de quelques danses. Bon courage, Aurelio !

Le bal ne s'était pas trop mal passé. Aurelio n'avait pas trouvé de fille pour faire cavalière à long terme – autrement dit, une vie sentimentale toujours aussi plate – mais il eut l'occasion de danser quelques fois, et fut sacré Roi du Bal lorsqu'il joua à la scène ouverte. Tout le monde fut impressionné par ses capacités musicales, et cela lui valut une belle couronne. C'était son petit réconfort…

Le jour de Noël était enfin arrivé, et c'était une bonne occasion, non seulement pour rassembler la famille, mais aussi pour aller voir comment se déroulait le festival de Noël, que la mairie avait organisé, pour donner un peu plus de vie et de joie à Monte Vista.

Pour une fois, Simona pouvait manger sans être vue. Et ça, c'était génial. Enfin, elle pouvait déguster des beignets de calamar gras, peu diététiques et provenant sans doute d'un chalutier chinois aux conditions hygiéniques douteuses, sans scrupules. Eh oui, la vie de cheffe cuisinière gastronomique était dure !

Vincenzo s'essayait au snowboard… Et je ne suis pas sûr de pouvoir vous raconter la suite !

Plus tard, la famille fut invitée à prendre un apéritif chez Khang Seng, un ami et collègue de Simona. Bien qu'elles eurent été voisins lorsque Vincenzo vivait dans sa maisonnette, les deux familles n'avaient jamais fait connaissance, ce qui était dommage car Vincenzo trouva la compagnie des Seng très agréable. Des amateurs de sport et de culture ! Voilà qui faisait toute la différence.

Cependant, la soirée se déroula en privée. Chacun avait eu droit à ses cadeaux. Pour Simona, quelques vases et bocaux rustiques, une boîte de chocolats et des fleurs. Cela n'était peut-être pas très original, mais elle s'en fichait, parce que ces cadeaux lui plaisaient. Pour Vincenzo, des bons pour un forfait « détente au nirvana » au spa. Pour Aurelio, un peu moins d'une dizaine de livres, et un appareil photo, une surprise qui l'avait rendu fou de joie ! Enfin, pour Adam, une collection de pétards et feux d'artifices, ainsi qu'un nouveau vélo. La famille s'était en plus permis de s'acheter une table de ping-pong. De quoi réveiller les curieux au printemps ! Des câlins à profusion, des rires, des discussions, de la bonne humeur : voilà qui était une fête de Noël réussie !

Vincenzo – Décidément, je n'aurais jamais pu rêver plus belle vie. Et plus belle femme !

Simona – Oh, tu joues les coquins ce soir ?

Vincenzo – Ça te dirait un petit troisième ?

Simona – Oh, c'est gentil, Vince, mais j'ai déjà trois enfants à supporter…

Vincenzo – J'espère que j'ai été assez vilain cette année…

Je ne veux pas voir la suite !

Malgré les courts congés de Noël que Vincenzo avait eu, il ne pouvait rester trop longtemps sans au moins prendre des nouvelles de ses collègues et de l'avancement des projets actuels. L'instauration de l'Initiative Locale, entre cultivateurs et commerçants, nécessitait toute son attention, tout comme les prochains travaux à financer et à planifier, le vote du budget de l'année suivante ou encore la chasse aux criminels, qui progressait, même les policiers ne parvenaient toujours pas à stopper les trafics : peut-être que Costanzo Rossi n'était pas la tête pensante de tout ce système et qu'il était plus vaste que prévu. Du travail en plus pour tout le monde !

Pour une fois, Simona pouvait se plaindre d'avoir autant, voire plus de travail que Vincenzo. Ayant été affectée à une cuisine supérieure, en raison de sa grande compétence, Simona avait des plats à réaliser chez elle, soit pour apprendre les recettes, soit parce qu'ils étaient à livrer, un nouveau service que le restaurant proposait, grâce aux subventions du conseil municipal. Quoi qu'il en soit, Simona n'arrêtait pas !

La neige disparaissait petit à petit de Monte Vista, laissant place à une pluie sans fin, après le rude mais court hiver glacé qui s'était abattu sur la ville. Il y régnait une étrange ambiance, tout comme à l'intérieur de l'hôtel de ville ce jour-là. Mais Vincenzo ne tarda pas à découvrir ce qui s'était réellement passé. Nicoletta, une fois de plus, l'attendait sur le seuil de son bureau, un journal à la main. En gros, il était écrit : « Après une tentative d'évasion, un prisonnier se fait abattre par ses complices ». Jusque là, rien de bien énorme, même si c'était assez inhabituel. Mais la suite laissa Vincenzo perplexe pendant trois bonnes minutes. « Le prisonnier fait récemment a réussi à sortir de l'enceinte de la prison de Livourne, et s'apprêtait à monter dans la voiture de ses complices lorsque le conducteur l'a abattu. Le défunt était condamné pour de multiples trafics et fraudes, il s'agit de l'ancien maire de Monte Vista, Costanzo Rossi ».

A suivre !

Comments

[mawleo]

Mouais, j'y crois moyen moi, je suis sûre que c'était pas Rossi et que le vrai Rossi s'est barré et prépare une vengeance...