S2 / Chapitre 14 - Blue is the warmest color

« Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées ;

Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit ;

Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;

Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit !

« Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule

Sur la face des mers, sur la face des monts,

Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule

Comme un hymne confus des morts que nous aimons.

« Et la face des eaux, et le front des montagnes,

Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts

S'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes

Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers.

« Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,

Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,

Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête,

Sans que rien manque au monde immense et radieux ! »

Aurelio – …Il lui restait tellement de choses à faire. Je me souviens que peu avant l'incendie, il m'avait dit « Moi qui était venu ici, à Monte Vista, pour retrouver mes ancêtres… En fait, je n'ai pas trouvé ma famille, je l'ai fondé ». Nous ne sommes plus rien sans lui.

Mika – Ne dis pas de bêtises, Aurelio. Il t'a donné toutes les clés pour que toi, tu réussisses ta vie comme tu l'entends.

Aurelio – Mais tu as bien vu ma mère… Elle n'a dû dire qu'une vingtaine de mots depuis notre déménagement.

Mika – Oui, mais elle, ce n'est pas pareil. Elle a donné toute sa confiance à un homme avec qui elle a construit sa vie, ce n'est pas le même lien. Tu imagines ce que ça représente ? Toi, tu es lié naturellement à lui, tandis qu'elle, c'est un choix. C’est beaucoup plus dur pour elle d’envisager la perte de son mari.

La famille Antenatio avait laissé sa vie et ses origines derrière elle. Monte Vista restait présente dans les coeurs mais, à l'unanimité, un changement d'horizon avait été décidé un peu moins d'une semaine après les obsèques de Vincenzo. Simona, Aurelio et Adam étaient conscients du danger que représentait désormais cette ville qu'ils avaient tant chéris. L'incendie n'était certainement pas naturel. La famille avait trouvé curieuse la coïncidence entre le démantèlement du syndicat du crime toscan et les portes grandes ouvertes de leur maison, ainsi que le foyer de l'incendie dans le bureau...

Adam – Mais même si nous sommes partis de Monte Vista, qui nous dit qu’on est en sécurité ?

Simona – ...Aurelio…

Adam – Qui nous dit qu'on peut avoir confiance en Mika ? Je croyais qu'elle ne voulait plus voir ses parents. Pourquoi elle a proposé de venir ici, alors ? Je pense que l'on devrait se méfier d'elle. Et à mon avis, ce groupe de mafieux ne se limite pas à la Toscane. Quand papa m'a parlé de tout ce qu'il avait découvert dans les dossiers de Costanzo Rossi… Je veux dire, faut réfléchir deux secondes : les types qui sont venus incendier notre maison n’étaient certainement pas des péquenauds qui ne savaient pas quoi faire de leur temps libre...

Simona – ...J'ai besoin de repos.

Encore dans la confusion et le deuil, Aurelio avait dû rapidement mettre ses sentiments de côté, comme il avait appris à le faire étant jeune, pour maintenir la famille à flot. Il avait bien du mal à réaliser que désormais, il était « l'homme du foyer ». Adam était resté dans son coin et naturellement, Aurelio avait pris les commandes. Cela n'avait pas été trop dur, grâce à son expérience à l'université et à sa courte vie avec Mika, mais il était toutefois perdu, désorienté sans son père.

Adam, de son côté, ressentait encore une immense tristesse, mais aussi une certaine colère. Son père avait été une figure d'honnêteté et de courage pour lui, tout autant qu'il lui semblait lâche et irresponsable. Comment un homme pouvait-il affronter la force la plus menaçante pour son poste, démanteler le réseau de la pègre, combattre le crime et redonner vie à une ville où il restait encore beaucoup à faire, et abandonner sa famille ainsi, sans se douter qu'il y aurait des représailles après la fuite de Marco Venisa, le dirigeant de cette organisation assez redoutable. Et par-dessus tout, comment avait-il pu si bien s'occuper de son premier fils et avoir laissé son deuxième de côté ? Vincenzo avait beau lui avoir fait tous les discours du monde sur la prétendue solitude qu'avait ressenti Aurelio durant sa jeunesse, il n'avait pour autant pas été capable de voir la solitude qui l’habitait, la solitude face à sa famille.

Voilà déjà deux mois que la famille avait quitté sa terre natale. Deux mois que Vincenzo était mort. Simona s'était petit à petit murée dans le silence, peut-être parce qu'elle n'avait rien à dire, peut-être parce que c'était trop dur, peut-être parce qu'elle en avait assez. Le sommeil était devenu sa principale « activité », et elle ne sortait plus du tout de la maison. Elle semblait s'abandonner elle-même. Après avoir perdu son refuge et son mari, elle ne devait plus avoir le même goût pour la vie…

Malgré la difficulté à quitter son ancienne vie, Aurelio s'intégrait plutôt bien à son nouvel environnement. Twinbrook lui plaisait et son poste de reporter d'investigation lui permettait de rencontrer moult personnes, dont certaines avec qui il devenait plus ou moins ami, à l’image de Goodwin, pompier volontaire. Aurelio se reconstruisait une vie sociale, et Mika semblait apprécier les efforts de son compagnon pour « tourner la page ».

Du côté purement professionnel, les choses ne se déroulaient pas mal non plus. Les quelques livres et nombreux articles qu'Aurelio avait écrit lui avaient permis d'obtenir un poste important au sein d'une délégation d'un grand journal de Louisiane The Advocate. Son titre de reporter faisait de lui le premier journaliste à être présent aux événements de Twinbrook, et lui imposaient une connaissance parfaite de la ville, qu'il devait justement étoffer. Il n'avait pas eu de mal à s'adapter aux coutumes et à la culture locale, ce qui était une chance pour lui.

Visiblement, Mika semblait s'intéresser à l'art de la ville et le musée municipal était devenu un petit refuge pour elle. Il était vrai que Twinbrook était réputée pour son architecture victorienne et son réseau d'artistes contemporains, mais était-ce cette raison qui l'avait poussé à venir ici ?

Simona semblait enfin réaliser que son mari n'était plus de ce monde. L'acceptation n'était pas à son terme mais elle avait le courage de sortir chaque jour, revêtant sa veste bleue, symbole de son courage, pour aller voir la tombe de Vincenzo. Elle ne disait rien, elle restait là, comme attendant le sort aléatoire qui la rapprocherait de son défunt époux.

Aurelio et Mika commençaient à former un couple solide, même si la jeune femme était encore hésitante à se lancer dans une relation à long terme. Le décès de Vincenzo semblait avoir rapproché les deux jeunes amoureux. Aurelio voyait peut-être en Mika un moyen de faire son deuil, le deuil de son père, de sa terre natale, de son ancienne vie, pour regarder vers l'avenir.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Adam se rapprochait de plus en plus d'Emily Sargeant, une de ses collègues. Ils travaillaient souvent en coopération, elle sur le terrain et lui au laboratoire. Cette proximité leur avait permis de mieux se connaître et une grande amitié était née entre eux. Peut-être qu'enfin Adam avait trouvé une personne digne d'être son ami, une personne qui le comprendrait, qui s'attacherait à lui et à qui il pourrait s'attacher.

Alors qu'Aurelio et Mika profitaient d'un de leur jour de congé commun pour passer un peu de temps ensemble à la plage, quelque chose attira le regard de Mika…

Mika – Aurelio, ce ne serait pas ta mère, là-bas ?

Aurelio – Mais… Maman, qu'est-ce-que tu fais là ?

Simona – Où est-ce-qu'on est, Aurelio ? Je ne voulais pas venir ici ! Pourquoi tu m'as amené là ?

Aurelio – C'est toi qui es venue là, maman… Je croyais que tu ne sortais plus de la maison. Tu ne te souviens pas de ce qui s'est passé ?

Simona – Non… Mince, j'ai oublié de mettre l'adoucissant dans le lave-linge !

Mika – Simona, vous avez déjà fait la lessive hier soir ! On dirait que vous êtes fatiguée…

Aurelio – Maman, qu'est-ce-qui t'a pris de sortir d'ici ? Tu sais très bien que tu ne connais pas la ville… Et puis tu n'es plus toute jeune. S'il t'arrive quelque chose…

Adam – Moi, je trouve ça bien, que tu sois sortie. Après tout, tu fais ce que tu veux.

Aurelio – Quoi ? Mais elle n'avait même pas son téléphone !

Mika – Aurelio, calme-toi…

Simona – Je veux aller voir Vincenzo.

Adam – On y va, maman. On reparlera de ça plus tard.

Aurelio – Non, on doit en parler maintenant, c'est important ! Tu iras voir papa demain…

Adam – Elle fait ce qu'elle veut ! Arrête de faire ton petit chef capricieux et grandis un peu !

Aurelio – Attends, qu’est-ce-que tu as dit ?

Mika – Bon, les garçons…

Cette fois-ci, c'en était trop pour Aurelio. Qu'est-ce-qu'Adam espérait ? Que leur mère pourrait se balader tranquillement dans Twinbrook, une ville qu'elle ne connaissait absolument pas, comme si elle avait vingt ans ? Il fallait voir les choses en face : Simona devenait vieille et la mort de Vincenzo l'avait rendu un peu sénile. Comment se faisait-il qu'elle se soit retrouvée sur cette plage, toute seule, alors qu'elle n'était jamais sortie de leur nouvelle maison ?

Aurelio – Et puis, mince, il se bande les yeux où quoi ?

Mika – Je crois qu'il a peur de voir les choses telles qu'elles sont. Il a l'air très proche d'elle.

Aurelio – Mais enfin ! Il pourrait être un peu plus responsable, quand même !

Mika – Tu aurais pu réagir plus calmement, aussi…

Aurelio – Comment veux-tu que je sois calme ! C'est facile de me dire ça, tu ne vois pas tes parents, tu ne sais pas ce que ça fait ! Tu ne sais pas tout ce que j’ai à gérer !

Mika – Tu n'es pas obligé de t'en prendre à moi, tu sais !

Aurelio avait l'impression que l'emprise qu'il avait sur sa vie lui glissait peu à peu des mains. Enfant, c'était son rapport aux autres. Adolescent, son désespoir amoureux, bien qu'il n'en ait jamais fait part. Après, ce fut la perte de son père, et maintenant de sa mère. Et puis, bien sûr, son frère, dont il s'était éloigné, sans le vouloir. Et pourtant, il n'avait rien fait. Par dessus le marché, il y avait aussi la réticence de Mika à s'installer pour de bon avec lui. Quelque chose n'allait pas pour Aurelio. Son destin était-il de toujours avoir un manque à combler ?

Peut-être le manque était-il là. Le soir-même, lorsqu'il rentra chez lui, Mika l'attendait avec une annonce qui allait changer sa vie. Elle était enceinte. Aurelio n'en avait pas cru ses oreilles jusqu'à ce que Mika le prenne dans ses bras, les larmes aux yeux. Mais elle ne souriait pas...

A suivre !

Comments

[mawleo]

AAAAAH BORDEL VINCENZO ETAIT DANS LA MAISON EN FEU



Mika, je la sens pas du tout ._.